CHAPITRE XII
D’un même élan, nous nous précipitons pour dégringoler en bas du rocher, puis foncer vers l’entrée de la grotte, mais soudain, Tarka s’arrête pour attendre Lorg.
— Vite, je fais.
De justesse, j’atterris dans la caverne derrière Baro au moment où la clairière s’embrase. Une atroce impression de chaleur. Le rocher a été touché mais il tient bon. Ça dure quelques secondes puis ça s’apaise. La porte de rondins flambe comme une torche, mais nous sommes saufs.
Pas tous :
— Mon père, s’écrie Baro.
Tarka n’est pas là. Bon sang. Le jeune Vénusien veut se précipiter dehors, mais je le retiens.
— Pas de folie, Baro. Du moment qu’il n’est pas entré dans la caverne avec nous, il n’y a plus d’espoir. Dehors, c’est encore l’enfer.
— Il était pourtant avec nous.
— Il a hésité une seconde à cause de Lorg qui était à la traîne. Je lui ai crié de venir, mais il n’a pas dû m’écouter.
*
* *
Les hommes de la vallée qui sont avec nous de même que Louna et ses compagnes sont littéralement frappés d’épouvante. Il y a cinquante ans les armes thermiques existaient déjà mais en petit nombre et Macrain n’avait pas dû en laisser derrière lui.
Tant bien que mal, je m’efforce de les rassurer pendant que Baro, debout en face de la porte de rondins qui vient de s’écrouler dans un jaillissement de flammes, fixe la clairière d’un air égaré.
Stella s’approche et lui prend la main. Sans rien dire. Les mots n’arrangeraient rien, maintenant en tout cas. La chaleur est toujours atroce bien qu’elle ait déjà sérieusement baissé.
Pour le moment nous sommes bouclés à l’intérieur de la caverne et sans doute pour de longues heures. Je jure entre mes dents, puis je demande à Louna :
— La caverne n’a pas d’autre issue ?
— Si, il existe un long couloir qui débouche tout en bas de la vallée. Juste devant l’ancienne piste.
— Là où se trouve le vaisseau ?
— Oui.
Moche, car si nous sortons par-là, nous sommes certains de nous faire repérer immédiatement. D’autre part, si nous restons ici, nous ne saurons plus rien de ce qui se passe. J’hésite et je ne sais à quoi me résoudre lorsque Baro vient me rejoindre.
Il a le visage dur et une expression farouche :
— Descendons, dit-il.
— A une seule condition, Baro. Vous ne vous lancerez pas dans une action désespérée sous prétexte de venger votre père.
— Je suis un soldat. Soyez sans crainte.
— Promettez-moi de ne rien entreprendre sans m’en avertir.
— Je vous le promets.
*
* *
Louna et les trois indigènes qui sont restés avec nous prennent la tête. Puis vient Klat, derrière lui, Jahule, Egli et Lorna, ensuite Stella à laquelle Baro donne le bras.
Moi, je ferme la marche. Louna a démasqué l’entrée de l’étroit boyau dans lequel nous nous sommes engagés après avoir fait basculer une énorme pierre.
Nous avons juste assez de place pour nous tenir debout et pour marcher à deux de front. La pente est douce et la lumière de nos torches éclaire des parois de basalte.
Après environ deux cents mètres, le couloir s’élargit, puis nous traversons une véritable salle souterraine au fond de laquelle coule une rivière.
Il fait bon. Chaud sans exagération et nous respirons facilement grâce à un courant d’air qui renouvelle constamment l’oxygène… Après cette salle, le couloir se rétrécit de nouveau, parfois même jusqu’à nous obliger à marcher l’un derrière l’autre.
Long est le chemin et nous sommes obligés de faire une halte. Pendant ce temps notre sort est peut-être en train de se jouer à l’air libre. Si Macrain était tué par une arme thermique, on ne retrouverait rien de lui et nous serions tous condamnés à finir nos jours dans la vallée.
A cause des joints magnétiques du tableau de bord qu’il a sur lui.
Nous repartons. Klat est tout de suite à la traîne, mais ce qui l’épuise c’est moins l’effort que la peur. De plus, il n’est sympathique à personne.
Un garde-chiourme ! Malgré soi, on éprouve toujours un sentiment de répulsion pour ce genre d’homme. Stella montre un grand courage. Bien sûr, elle prend de la béraline, mais elle n’a pas encore eu le temps de refaire ses forces.
Pourtant elle ne se plaint pas. En tête, Louna vient de s’arrêter et je remonte vivement la colonne pour la rejoindre.
— Nous sommes arrivés ?
— La sortie est là.
Elle me désigne une anfractuosité. J’y vais tout de suite en faisant signe aux autres d’attendre. Je me glisse entre deux rochers et brusquement j’aperçois la piste et l’Orion.
A cinq cents mètres à peine.
— Trop loin pour espérer tenter un coup de main, murmure Baro qui m’a suivi.
— En plein jour, oui.
Le terrain d’atterrissage est surveillé. Bruce a établi un cordon de sentinelles autour du vaisseau.
— Les Koriens ont dû attaquer il n’y a pas longtemps, dit Baro.
Probablement car nous apercevons plusieurs cadavres sur la piste. Des cadavres qu’on n’a pas encore eu le temps de ramasser. Le grand sas des soutes de l’Orion est ouvert et un char en sort lentement. Un char lourd. Une fois à terre, il contourne l’astronef pour prendre le chemin du village.
— La vallée est silencieuse.
— Les Koriens ont peur des armes thermiques. Contre cela Macrain ne pourra rien, répond Baro.
Il doit avoir raison. Nous devrions entendre des coups de feu, mais les Koriens ne doivent plus oser sortir des trous où ils ont dû se terrer comme des rats.
Je remarque :
— Les bagnards ne semblent pas avoir fait de prisonniers non plus.
Ce qui est tout de même bon signe, comme les sentinelles et la sortie de ce char supplémentaire.
— Je me demande si Bruce sait déjà qu’en aucun cas l’Orion ne pourra décoller.
— Et s’il fait fabriquer des joints magnétiques dans l’atelier du vaisseau.
— C’est un travail de spécialiste.
— Quel est exactement leur rôle ?
— Ils font office de soupape si la poussée des moteurs atomiques était trop grande ou s’ils libéraient trop d’énergie en même temps…
— Bruce ne pourra plus lancer les moteurs ?
— Si, mais ils tourneront à vide.
— Tout le vaisseau est donc paralysé ?
— Non, malheureusement. Tous les circuits électroniques de défense continuent à fonctionner normalement.
Nous rentrons dans la grotte. Epuisée, Stella s’est allongée sur le sol et Jahule lui fait prendre des pastilles vitalisantes. Klat se tient à l’écart et les indigènes se sont enfin rassurés.
Egli m’apporte un fruit. L’affolement n’a pas fait oublier les paniers de provisions aux femmes.
— Castella ?
Baro m’appelle doucement depuis l’anfractuosité rocheuse où il est retourné. Je le rejoins.
— Nous ne pouvons tout de même pas passer toute la journée ici sans rien tenter, me dit-il.
— Que pourrions-nous faire ?
— En rampant, il y a moyen de quitter la grotte sans être vu et de gagner la forêt. Je vais y aller. Il faut absolument que nous sachions ce qui se passe.
Je jette un coup d’œil à l’extérieur. L’herbe est haute et sur la droite, il y a presque tout de suite un buisson.
— D’accord, je dis. Seulement, je ne veux pas que vous partiez seul ?
— Pourquoi ?
— Il vous faut un guide.
Retournant dans la grotte, je fais signe au Korien qui est venu nous annoncer que Bruce passait à l’attaque.
— Comment t’appelles-tu ?
— Larn.
— En rampant, on peut quitter la grotte sans être vu et atteindre la forêt. Tu vas servir de guide à Baro. Il faut que tu l’aides à rejoindre Macrain.
— Le Ténério ?
— Oui.
Après une légère hésitation, il accepte d’un mouvement de tête puis rejoint ses compagnons. Baro, lui, s’est approché de Stella. Je reste à l’écart pour ne pas avoir à me mêler de leurs affaires.
Stella essaye de le dissuader de partir, mais il secoue fermement la tête. Je retourne à l’entrée de la grotte. Une équipe de bagnards est en train de ramasser les morts qui sont ramenés à bord pour être passés au désintégrateur. Ils utilisent un motocar sur le plateau duquel les corps sont entassés.
Baro me touche l’épaule.
— Nous sommes prêts, dit-il.
Je m’écarte et il me tend la main.
— Bonne chance, Baro.
Dans son regard, je lis une décision farouche.
— Soyez sans crainte. Je reviendrai.
Il s’agenouille, puis s’allonge sur le sol pour sortir de la grotte en rampant. Derrière lui, Larn se faufile à son tour… Mon cœur bat terriblement pendant que je suis des yeux leur lente progression dans l’herbe.
Je guette l’esplanade. Baro atteint le buisson derrière lequel il se redresse. Maintenant, c’est Larn. Après un signe de la main, ils se remettent en route à demi courbés.
Les forçats en faction s’occupent surtout du ramassage des cadavres. Et voilà, Baro et Larn se sont enfoncés dans la forêt.
*
* *
L’inquiétude me réveille en sursaut. Je me suis assoupi. A côté de moi, Stella dort pendant que Jahule et les Koriennes discutent au fond de la grotte.
Je me dresse. Klat est devant moi.
— Que se passe-t-il ?
— Les deux sauvages sont partis.
Pour lui, ce sont des sauvages, parce qu’ils sont vêtus de peaux de bêtes.
— Ils n’ont rien dit ?
— Qu’ils allaient rejoindre Macrain.
Un regard à ma montre. Ça fait plus de quatre heures que Baro et Larn sont partis. Normalement, ils ne devraient pas tarder à revenir. A moins qu’il ne leur soit arrivé quelque chose.
Klat est nerveux. Comme je me lève, il me dit d’une voix sourde :
— Je n’en peux plus. Il faut que je parte aussi.
— Pour aller où ?
— Ça m’est égal. Dans la forêt. Puisqu’ils sont tous passés, je passerai aussi.
Ça m’embête de le laisser partir car si jamais il se fait prendre, il n’hésitera pas à dénoncer notre cachette. D’autre part, si je l’en empêche, il est capable de prendre la fuite au petit bonheur la chance et se faire repérer en quittant la grotte.
— Je vais voir si le chemin est libre.
A l’entrée de la grotte, je vois tout de suite qu’il n’y a plus de sentinelles autour de l’Orion. Par contre, tout un groupe de forçats discutent avec véhémence devant le sas de sortie.
Ça laisse une chance sérieuse à Klat :
— Essaye d’y aller. Rampe jusqu’au buisson. Tout doucement.
Il se jette à terre et commence sa reptation. Assez maladroitement et brusquement, deux forçats sortent de la forêt en avant de lui.
Klat les a peut-être entendus, mais en tout cas, il n’a pas pu les voir et je ne peux pas l’appeler pour le prévenir. Le voilà derrière le buisson où il se redresse lentement. Les bagnards sont tout près.
Il a une hésitation, mais au lieu de se jeter à terre, il tourne brusquement les talons pour se mettre à courir comme un fou en direction des arbres.
L’imbécile ! Les deux bagnards se retournent en poussant une exclamation de surprise. Immédiatement, ils dégainent. Le premier rate Klat avec son fulgurant, mais le second enveloppe une plus grande surface avec son pistolet thermique.
Fauché en pleine course, le gardien s’enflamme en poussant un cri horrible. D’autres bagnards accourent et se mettent à battre les buissons. D’un instant à l’autre, ils peuvent tomber sur l’entrée de la grotte.
Je me recule vivement en sortant mon pistolet et j’alerte les femmes :
— Nous risquons d’être découverts. Refluez vers la caverne.
Stella s’est réveillée. Jahule l’aide à se relever, puis l’entraîne. Les trois autres femmes suivent pendant que je guette l’anfractuosité par laquelle on peut entrer dans la grotte.
Les bagnards continuent à fouiller les buissons. Je les entends s’interpeller. Ils se rapprochent et je sens une présence à côté de moi. Je me retourne.
Egli est revenue sur ses pas.
— Partez, je dis.
— Et vous ?
— Je vous rejoindrai dans un instant.
Elle ne bouge pas.
— Egli… Prenez de l’avance… Lorsque les bandits déboucheront, il faudra courir très vite.
— Ne craignez rien pour moi.
Soudain la clarté qui marque l’entrée de la grotte s’efface. Un des bandits est en train de se glisser dans l’ouverture en appelant ses compagnons.
— Cette fois, partez Egli. Je l’exige.
Cette fois, elle obéit et je tire. Toute la grotte s’en trouve illuminée et le flamboiement de l’entrée en interdit l’accès pour pas mal de temps. Frappée à bout portant, la roche a dû fondre et je doute que les forçats osent nous suivre dans les étroits couloirs qui conduisent à la grande caverne où nous avons passé la nuit.
Egli m’attend devant le premier goulet.
*
* *
Comme je l’avais prévu, les forçats n’ont pas osé s’engager dans les couloirs derrière nous. Nous allons beaucoup moins vite que pour la descente et à plusieurs reprises, dans les passages difficiles, je dois charger Stella sur mon dos.
Nous sommes dans la situation de rats traqués dans leur trou. Maintenant Baro et Larn ne pourront plus nous rejoindre et même si le jeune Vénusien parvenait jusqu’à la grotte, en voyant la roche calcinée, il penserait que nous sommes tous morts ou tout au moins prisonniers.
Un beau gâchis. Depuis que Macrain m’a obligé à abandonner le premier niveau et la tourelle de direction, tout a été de travers.
Malcolm s’est livré à un baroud d’honneur et, depuis, la situation n’a fait qu’empirer. Egli marche à côté de moi. Sa présence me réconforte un peu.
— Depuis la caverne où nous avons passé la nuit, vous pourriez nous conduire jusqu’au camp de Macrain ?
— Il a dû se réfugier dans le haut de la vallée.
— Vous savez où ?
— Oui.
Nous approchons de la caverne et je fais signe aux femmes de s’arrêter.
— Restez avec elles, Egli. La caverne est peut-être occupée par des bandits.
Une brusque angoisse me taraude le ventre. C’est peut-être ridicule, mais je sors mon arme et je la garde à la main en marchant. Tout à coup, j’entends un bruit de voix. On parle dans la caverne.
Peut-être des hommes de Macrain. Peut-être. En tout cas, je redouble de prudence et j’avance silencieusement. Heureusement lorsque nous sommes passés ce matin, Louna n’a pas remis en place la pierre qui fermait le passage.
Je peux regarder dans la caverne sans signaler ma présence. Encore une chance car ce ne sont pas des Koriens qui sont là, mais trois forçats.